Oser le narcissisme, poser savamment pour les artistes, notamment en toute nudité, est un véritable vecteur pour s’assumer. Telle est l’idée force de l’ouvrage signé Florence Rivières, actuellement en librairie, et contrant l’idée commune assimilant les modèles à des femmes-objets. Une démarche très féministe pour cette jeune femme de 27 ans, modèle depuis 10 ans, et détentrice d’une licence de philosophie.
« Le fait de décréter qu’une jeune fille qui pose nue ou se met en scène de façon érotique est une victime inconsciente du système, c’est une autre façon de nous déposséder de notre légitimité à…penser ». Ainsi s’exprime Florence Rivières dans son ouvrage autoédité « L’art de la pose – Osez le narcissisme », paru début 2018 (p250). Soyons clair. La nudité n’est pas le propos de l’ouvrage, mais un sujet décliné sur 15 pages dans les conclusions, après évocations ponctuelles dans les chapitres précédents. Ainsi, souligne-t-elle, (p120), « Je crois que la chose la plus importante à retenir en matière de limite c’est ceci : ce n’est pas votre nudité qui est précieuse, mais votre vulnérabilité. Et ce, même si les deux peuvent être liées. Cependant, nudité et vulnérabilité ont en commun qu’elles doivent être librement consenties et qu’on ne doit jamais, jamais essayer de vous les arracher ». Ce qui justifie pour elle de se faire rémunérer au temps passé, et non à la prestation fournie. Si on fait monter les prix en fonction de l’état de nudité demandé, on ne sait plus où cela peut s’arrêter.
L’ouvrage est un pavé, une œuvre somptueuse, richement illustrée, composée avec soin. Ce n’est pas un simple témoignage, pas une énième biographie d’un modèle, mais un ouvrage de référence que d’aucuns tenteraient même d’assimiler à une thèse sociologique, voire un plaidoyer philosophique, tant les récits d’expériences personnelles sont imbriqués avec moultes citations d’auteurs de référence sur l’art, sur la photographie, et sur les rapports particuliers qui lient pour chaque cliché le modèle, le photographe et le spectateur. Le propos, présenté en écriture inclusive, résolument féministe, dérangera certains, en déroutera quelques-uns, et contribuera certainement à en faire rêver beaucoup d’autres.
Poser n’est pas « se montrer » !
Aidée en toute complicité dans l’élaboration et l’écriture par la photographe (et professeur de philosophie) Julie de Waroquier, Florence Rivières veut ici défendre la cause des modèles alternatifs (ceux qui ne sont pas en agence), tenter de définir le pourquoi et le comment de la pose en photographie et, surtout, casser beaucoup d’apriori sur le sujet. Non, les modèles photo ne sont pas des potiches, pas des femmes-objets, mais bien, à leur manière, et dans des cadres particuliers, de véritables actrices, parties prenantes de la qualité de l’image au même titre que les autres intervenants. Quand elles ont compris que l’on ne fait pas des photos « pour se montrer », mais pour participer à une œuvre commune.
En six chapitres aux références précises, elle aborde toutes les problématiques du choix d’être modèle, des rapports avec les photographes, des conditions de travail et de rémunération, comme des rapports sociaux qu’une telle activité peut induire, en en tirant des conclusions argumentées qui ne manqueront pas de surprendre, d’entrainer le questionnement sur les rapports avec soi-même, avec son propre corps et avec les autres. Pas « les autres » du milieu artistique, mais « les autres » que l’on côtoie tous les jours, au hasard des rues, et qui portent souvent des jugements erronés sur l’activité ou la personnalité du modèle, par le simple jugement d’un cliché. Et surtout quand il montre de la nudité, bien entendu. « Une autre confusion majeure est monnaie courante dans la société contemporaine, c’est l’idée selon laquelle la nudité, totale ou partielle, se rattache forcément à la sexualité. Cette idée est la source de nombreux problèmes de communication – ou pire (…) Le corps nu est confondu avec l’intimité parce qu’il est associé – et réduit- à sa fonction sexuelle » (p239).
A 18 ans, quand elle a commencé à poser, Florence Rivières ne correspondait pas aux critères traditionnels demandés pour être modèle, et se trouvait moche. Depuis, elle a multiplié les expériences, heureuses ou malheureuses, appris à maitriser son corps et ses émotions, pour mieux les faire vivre, en s’impliquant pleinement dans son activité de « modèle ». Une activité par ailleurs libératoire, qui transcende les codes habituels de représentation de la femme et, qui, à ces yeux, s’affirme comme une démarche réellement féministe.
Alors, dit-elle, faut-il pour autant appeler cela du narcissisme ? Certainement, si ce narcissisme s’exprime comme une recherche de soi, une volonté d’accomplissement, et non d’admiration stérile… Pour elle, « un corps nu n’est pas choquant. Banalisons les. Acceptons d’être qui nous sommes, et acceptons d’en être fier » (p255).
Jean-Luc Bouland
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