Avec un titre comme celui-ci, on pourrait s’attendre à une bande dessinée mettant en scène les aventures de baigneuses ou de naturistes sur les plages de la Nouvelle Aquitaine. Il n’en est rien. C’est celui d’un album signé Luz, primé récemment au festival de la BD d’Angoulême que Guillaume Lemoine a souhaité conté.
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L’album de Luz paru chez Albin Michel qui a reçu le Fauve d’or 2025 du festival d’Angoulême, la plus belle récompense française en terme de bandes dessinées, raconte d’une façon très originale l’histoire d’une oeuvre d’art. À travers cette histoire qui se déroule sur plusieurs décennies, on découvre entre autres le rapport qu’avait le régime national-socialiste avec l’art moderne, qualifié de décadent voire d’indécent et de pornographique lorsque les oeuvres montraient des sujets nus. Pour les soustraire de la vue du public, Le régime nazi n’a pas hésité à vider les musées (et à piller les collections privées) pour les traiter et stocker à part, voire en détruire certaines. Ce qui est assez ironique, c’est que certaines des œuvres confisquées ont fait l’objet d’une « anti-expo » par les nazis pour dénoncer l’art moderne comme un « art dégénéré ». L’exposition en question réunissant des œuvres de Picasso, Kandinski, Chagall, Adler et beaucoup d’autres peut être considérée aujourd’hui comme la plus grande exposition d’art moderne de l’histoire !
Le roman graphique montre également la spoliation systématique des biens juifs par le régime nazi ainsi que les comportements complices de certains protagonistes adhérents opportunément à l’idéologie du 3ème Reich, voire la résistance discrète de quelques autres. L’auteur est comme le tableau un rescapé. Luz, membre de l’équipe de Charlie Hebdo a en effet réchappé à l’attentat du 7 janvier 2015 et s’est depuis reconverti en dessinateur de bande dessinée.
Comme un thriller politique
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Cet album passionnant se lit comme un thriller politique sur une œuvre d’art peinte en 1919 par Otto Mueller. L’artiste né le 16 octobre 1874 en Silésie d’une mère tzigane est mort le 24 septembre 1930. Commençant dans sa jeunesse une peinture assez conventionnelle, il devint en 1908 l’un des peintres expressionnistes proche du groupe berlinois Die Brücke (créé à Dresde en 1905 et qui s’installe à Berlin en fin 1911). Il est par excellence un peintre de nues, nues que certains considèrent à la fois tranquilles et un peu tristes. L’artiste aime mettre en scène les corps de jeunes filles nubiles ou de femmes, placées en toute innocence dans des décors paradisiaques ou naturels. On ne peut s’empêcher en les admirant d’y voir de joyeuses naturistes du mouvement allemand de la FreiKörperKutur (la culture du corps libre), mouvement qui fait son apparition à la fin du 19ème siècle et qui s’organise en 1920. C’est un mouvement héritier de celui de « la réforme de la vie », die Lebensreformbewegung, qui date de la fin du XIXème siècle et qui prône en Allemagne un retour à la nature. Otto Mueller se voue également à l’étude des Tziganes au cours de voyages. Il termine sa vie à Breslau (Pologne) comme professeur de « nus » à l’École des beaux-arts.
Le remarquable travail de Luz a plusieurs avantages : nous rappeler l’importance des exactions et crimes des nazis et nous donner envie de découvrir (ou redécouvrir) les nombreuses « naturistes » qu’Otto Mueller a dessinées. Rappelons que le dessin de nu.e.s est très présent dans les œuvres des artistes de Die Brücke qui sont à la recherche d’un monde nouveau où l’art et la vie ne font plus qu’un. Ils veulent retrouver un idéal de liberté qu’ils ont perdu et se réconcilier avec la nature. Représenter des nu.e.s souligne le besoin de s’affranchir des règles de la peinture classique et de peindre en totale liberté vis à vis des dogmes académiques en place et de pouvoir créer avec la plus grande spontanéité. Inspirés par l’art primitif, les artistes travaillent autant en atelier que dans la forêt et sur les bords des étangs et rivières ou des plages, préférant mettre en scène des femmes de leur entourage plutôt que des modèles professionnels, avec lesquelles ils vont partager leur amour du naturisme (1).
(1) Jennifer Delrieux, 2012 – Une explosion de couleurs au Musée de Grenoble, Subjectivité et spontanéité, Rue89Lyon
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