Quel nu féminin est acceptable dans l’art ? Une statue symbole de lutte féministe peut-elle véhiculer un message contraire. Tout semble être question d’époque, de concept, et de point de vue.
Par Guillaume Lemoine
Voilà la courte histoire d’une statue de 2,25 mètres qui fut installée entre le 14 octobre 2020 et le 30 avril 2021, face à la Cour pénale de New York dans le Collect Pond Park de Lower Manhattan, où a été jugé Harvey Weinstein le producteur américain condamné le 24 février 2020 à vingt-trois ans de prison pour viols et agressions sexuelles. Symbole de la lutte contre les violences sexuelles, l’œuvre réalisée en 2008 par Luciano Garbati a fait débat lors de son installation.
Il s’agit d’une version moderne du mythe grecque qui célèbre le héros Persée debout sur le corps de Méduse et qui en brandit la tête tranchée. Rappelons que cette Gorgone (qui avait auparavant une apparence de belle jeune femme) a été violée par Poséidon dans le temple de la déesse de la guerre. Athéna offensée d’avoir vu son temple souillé, transforme la victime en Méduse et ses tresses se muent en une multitude de serpents. Elle récupère le don de pétrifier les hommes qui osent soutenir son regard. Méduse, punie pour un crime qu’elle n’a pas commis mais subi, est ainsi condamnée à la solitude, au silence et à la colère après son viol.
L’artiste d’origine italo-argentine a voulu inverser les rôles en réalisant une Méduse triomphante qui tient dans sa main la tête coupée de Persée en opposition à la célèbre statue de Benvenuto Cellini exposée sur la piazza della Signoria à Florence. Il s’agissait de dénoncer à sa manière les violences sexistes et sexuelles. L’œuvre était ainsi destinée à soutenir les revendications légitimes des femmes pour une meilleure justice. En 2018, les images de cette statue de Méduse avaient envahi le web. Elle était alors devenue le symbole de la rage et des luttes féminines… avant de se retourner contre elle, deux ans plus tard, et véhiculer le contraire une fois installée temporairement à Manhattan.
Diverses féministes ont dénoncé le fait que l’œuvre destinée à honorer le mouvement #MeToo, ait été créée par un homme, de surcroit de race blanche alors que le mouvement avait été lancé en 2007 par Tarana Burke une femme afro-américaine. D’autres ont clairement dénoncé la violence de la représentation donc du message. Les femmes victimes ne veulent pas se venger mais veulent simplement la justice. D’autres encore considèrent qu’il aurait fallu trancher la tête de Poséidon et non de Persée.
Les autres critiques correspondent plus au fait que l’œuvre reprend des projections masculines et hétérosexuelles (male gaze). Alors que Méduse, créature mythologique, est décrite comme très laide dans les Métamorphoses d’Ovide, celle créée par Garbati a des proportions de mannequin. Son corps ressemble plus à celui d’une femme sortie d’une publicité qu’à une représentation réaliste. Les critiques portent également sur sa nudité. Car pour certaines féministes Méduse est ici représentée entièrement nue sans raison apparente. Or, dans le domaine artistique, cette nudité à notre époque pose problème, car pour certaines, les représentations féminines nues, deviennent plus des objets du désir masculin que des sujets en tant que tels.
Autre critique, qui peut sembler en totale opposition par rapport à la précédente : le corps féminin ici représenté est peu sexualisé. Le sexe de la statue est à peine visible, presque effacé. Cette frilosité, voire absence de lisibilité pourrait être une nouvelle façon de montrer comment les femmes n’ont pas atteint la parité avec les hommes. La statue inverse montre le pénis de Persée, mais montrer le sexe d’une femme semblerait, pour les détractrices, toujours effrayant ! Une dernière critique correspond à son pubis imberbe. Les critiques soulignent donc qu’une fois de plus, l’œuvre correspond à un fantasme masculin plutôt qu’à une certaine réalité ; ce qui à leurs yeux, pour une statue qui se veut féministe, est plutôt gênant.
Sexiste ou pas suffisamment sexualisée, adulée ou critiquée… cette statue et sa symbolique ne laissent donc pas indifférent et permet de nous interroger sur les intentions des un.e.s et des autres, qu’elles soient explicites ou inconscientes.
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