Peux-t-on défendre les valeurs naturistes sans montrer la nudité intégrale ? Et dénoncer la censure en n’utilisant que des images qui ne la craignent pas ? Cent ans après les premières publications dédiées, ces interrogations contradictoires interpellent toujours.
Par Jean-Luc Bouland
« J’ai découvert votre site et l’ai parcouru avec beaucoup d’intéret. Mais, après avoir lu de nombreux articles, j’ai réalisé que toutes les personnes nues sur vos photos sont montrées soit de dos, soit de face mais avec les parties sexuelles (voire même les seins) floutées ou cachées. C’est vraiment curieux de la part d’un magazine naturiste. Vous soutenez la censure que vous condamné par ailleurs. Est-il si honteux d’être nu ?« . La question est directe, et soulève une préoccupation constante de la rédaction, même si elle est un peu réductrice.
« La nudité intégrale se montre partout sur le net (et la plupart du temps dans des représentations sexuelles, voire vulgaires) … sauf sur votre site. C’est vraiment dommage. Votre site devrait justement contrebalancer les sites porno en montrant une nudité normale et naturelle« , continue ce lecteur. Voilà qui mérite une réponse simple, tout laissant ouvert un débat pérenne.
Les choix de NatMag
Pour chaque édition et chaque article mis en ligne sur le site, nous devons penser à leur publication, et c’est là que tout se complique. Si nous privilégions la nudité intégrale, voire frontale, à l’intérieur de la revue et dans les illustrations internes des articles postés sur le site, nous devons être plus prudents, voire « pudique » pour les images utilisées pour la couverture du magazine comme pour les photos « en une » des articles, car ce sont ceux-ci qui sont vus par le public sur les réseaux sociaux, et soumis directement à la censure.
Nous avons été interdits de publication pendant un mois sur Facebook fin 2021 « pour des fesses juvéniles » (!), et sujet à trois semaines de restriction de publication en février pour une image restée 10 secondes en ligne. Insister ne pourrait qu’être nuisible, empêchant notamment tout partage de nos publications, ceux qui le font étant eux aussi sanctionés. Cette « censure implicite » vaut aussi pour la couverture du magazine qui se retrouve dans les rayons les moins accesibles des libraires si nous osons mettre une nudité frontale, ne serait-ce qu’une paire de seins.
Communiquer sur le naturisme
Ces interrogations son permanentes et perdurent dans le temps pour faire les bons choix dans l’illustration du naturisme. Voilà quelques décennies, certains estimaient que « le naturisme ne se montre pas mais se vit« , et qu’il n’était pas utile de montrer la nudité pour en défendre les valeurs. Aujourd’hui, alors que la Fédération française de naturisme ose le « Aimons-nous comme nous sommes » dans une campagne contre le bodyshaming, utilisant des images à la nudité frontale explicite, elle doit jongler en pemanence avec la vigilance des réseaux sociaux, et gagne rarement. Début 2022, son compte Twitter a purement été supprimé, et elle a du en créer un autre.
Au delà de la communication digitale se pose aussi celle en lieux publics, tels les salons consacrés au tourisme ou au bien-être. Récemment, Frédéric, naturiste pratiquant, a ouvert un débat sur ce thème, particulièrement sensible, sur les réseaux sociaux. « Les dépliants sur le naturisme sont très bien fait. Le souci est que si je veux prévenir mes nouveaux voisins de notre art de vivre, ces dépliants pleins de corps nus sont un peu violents, voire très violents, en fonction des mentalités. Et si c’est le gamin qui voit ça dans la boite au lettre ? Ces dépliants sont de fait plus destinés à des gens qui n’ont pas de problème avec les corps nus. Donc pour des naturistes du coup« .
Judicieuse question ? « Cacher les corps revient à dire que la fédération considère qu’il y a quelque chose de honteux à la nudité ? Tant qu’aucune loi votée démocratiquement ne nous empêche de le faire, ne nous censurons pas !« , lui a répondu Roxane, suivie en cela par nombre de commentateurs.
Frédéric, tout en partageant entièrement cet avis, estime toutefois que « nous, naturistes, devons aussi accepter que pour un textile lui imposer la nudité, que ce soit par une affiche ou autre, n’est pas tolerable et va à l’encontre de nos vraies valeurs éthiques. Apaisons… Plutot qu attiser le feu.«
Cent ans après les premières publications militantes, le débat reste entier, dans un monde où la norme dominante est toujours le vêtement. Comment affirmer son naturisme sans le montrer ? Comment le montrer sans risquer de choquer et de nuire à notre discours ? Et comment provoquer la réflexion sans choquer ? Certes, il suffirait d’adapter le discours au ciorconstances. Ce qui devient de plus en plus compliqué à l’heure où le dénigrement sans réflexion deviendrait pour beaucoup presque…naturel.
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