Les visites nues proposées aux zoo d’Upie ne font pas l’unanimité. Si certaines activités urbaines ou hors structures dédiées s’inscrivent dans l’époque, cette programmation interpelle nombre de naturistes. L’existence même d’un zoo est-elle déjà conforme à l’éthique défendue ?
Par Romain Degrain
Depuis quelques années, la tendance du naturisme est urbaine. À l’instar de l’Association des Naturistes de Paris qui, par la contrainte et la force de sa géographie, milite pour une banalisation de la nudité dans la cité, la Fédération Française de Naturisme s’est mise à suivre cette tendance dans un élan de mode qui part d’un principe sain : montrer et démontrer que la sexualisation de la nudité est une construction sociale, et que l’on peut effectuer n’importe laquelle de nos activités quotidiennes, aussi bien habillés que nus, sans que pour autant cela en affecte l’objet, la motivation ou la réalisation.
Ainsi a-t-on vu se développer des événements d’ordinaire exclus du naturisme estival : restaurant, accrobranche, visite de musées, apéro en toit-terrasse, soirée en boîte techno. Le tout dans la plus simple nudité.
L’Association des Naturistes Phocéens n’est pas en reste. Elle est d’ailleurs la première association naturiste à avoir organiser en France un bowling nu, à avoir participer au festival de la photographie d’Arles, et à randonner nu régulièrement à travers les calanques.
D’autres associations naturistes leur embrayent le pas : à Avignon et Rennes, la traversée de la ville à vélo ; dans les Hauts-de-France, une course à pied à l’image de ce qui se fait annuellement au festival de Roskilde au Danemark.
Récemment, la Fédération Française de Naturisme a annoncé la visite nue d’un zoo. Il s’agit de celui d’Upie, dans la Drôme. L’initiative vient d’ailleurs de la direction du zoo qui a contacté la F.F.N. dans ce but. Les visites nues ont eu lieu chaque mardi soir, entre 19h30 et 21h15 après la fermeture officielle et avant l’endormissement des animaux, entre le 25 juillet et le 09 août. L’événement a été considéré comme un succès puisque réunissant une quinzaine de visiteurs nus par soirée, et langue a déjà été prise pour remettre ça en 2023, dès le mois de juin, sur des horaires encore plus élargis.
La communication a été intense, et tous les lieux et instances naturistes à une heure de route à la ronde ont été sollicités pour se faire écho de l’information. Le journal « Le Dauphiné Libéré » s’est même fendu d’un article suite à l’envoi sur place de deux journalistes, un homme et une femme, parité oblige, qui ont suivi une visite entière, aussi nus que les visiteurs. À ce titre, la banalisation de la nudité peut d’ailleurs être vécue comme un succès.
Que ce soit la F.F.N., le Dauphiné Libéré, ou le zoo, on n’en parle qu’en termes positifs et élogieux. Seulement voilà : tout cela remise sous le tapis les voix d’un très grand nombre de naturistes qui ne voient pas dans cet événement une manifestation de plus sur le chemin de la banalisation de la nudité publique, mais au contraire un accroc, si ce n’est un outrage, aux valeurs fondatrices du naturisme.
Pour rappel, jusqu’à ce jour, la définition officielle du naturisme est la suivante : « Le naturisme est une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par une pratique de la nudité en commun qui a pour but de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et de l’environnement. »
Peut-on donc vivre en harmonie avec la nature quand on l’enferme dans des enclos ? Ou qu’on l’exhibe en spectacle tarifé ? Peut-on respecter l’environnement quand on enferme la nature entre deux grillages, trois clôtures, et un portail ?
Certes, le zoo d’Upie est un lieu agréable et à taille humaine. Mais c’est justement ça, le problème : c’est que la seule taille d’un zoo, quelle que soit sa dimension, c’est la taille humaine ; il n’y a pas de place pour la taille animale dans un zoo ; la taille animale, c’est dans la nature, pas derrière la barrière. La nature, qui est à la base même du mot naturisme.
Si les humains peuvent à loisir jouer au bowling ou à tout autre sport sans vêtements, danser sans vêtements, nager ou bronzer sans vêtements, manger, marcher, vivre sans vêtements, c’est parce qu’ils le font par choix : le choix d’être libres, et affranchis de toute pollution dogmatique faisant du corps un objet de péché. Et parce que la liberté est l’une des valeurs cardinales du naturisme. Un choix et une liberté que n’ont pas les animaux parqués et vendus aux regards des visiteurs, nus comme habillés.
Pour beaucoup de naturistes donc, cet événement est la manifestation de trop, celle qui ne peut pas et ne doit pas permettre au naturisme de cautionner toutes les sortes de nudité. Demain, irait-on faire son plein d’essence à poil, assisterait-on à une ronde d’éléphants ou de tigres dans un cirque, ou acclamerait-on un torero nu, cela serait-il du naturisme, fût-il urbain ? Non, car gardons à l’esprit qu’être nu ne suffit pas à se revendiquer naturiste : il faut aussi pour cela avoir une conscience.
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